http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20080614. article suivant Nouvelles des terres vides l'atelier d'écriture Salwa Al Neimi, un chant de volupté en langue arabe
Son roman pouvait difficilement passer inaperçu. Paru au début de 2007, en arabe, chez l'un des
meilleurs éditeurs de Beyrouth, Riad El-Rayess, il affichait en couverture une femmes aux seinsarrogants. Le livre a été interdit aux mineurs au Liban et interdit tout court dans la plupart des pays
arabes, sauf au Maghreb et. à Abou Dhabi. Mais plusieurs journaux l'ont encensé et, aujourd'hui, SalwaAl Neimi est traduite - ou en voie de traduction - dans dix-sept pays. Cette jeune femme syrienne, qui viten France et travaille à l'Institut du monde arabe, n'en revient pas : " Dans mes poèmes, je disais la mêmechose, mais personne n'avait l'air de les lire. "
Le fait que des pages aussi osées aient été écrites par une femme - et en arabe - n'explique qu'en partiel'écho rencontré par ce livre : Salwa Al Neimi n'est pas la première à bousculer le tabou du sexe. Un taboubeaucoup plus facile à briser, d'ailleurs, que celui de la religion. L'originalité du roman tient plutôt au faitqu'il se réfère constamment à l'héritage arabo-musulman : la narratrice puise toutes ses inspirationschez des auteurs comme Tifachi ou Al-Siouti, qui vivaient il y a plusieurs siècles. " Ce n'étaient pas desmarginaux, remarque-t-elle, mais des cheikhs qui faisaient autorité. Dans leurs traités sur le sexe, ilscommençaient par remercier Dieu de leur avoir donné un avant-goût de ce qui les attendait au paradis. "
S'appuyant sur ces glorieux ancêtres, la jeune femme s'est lancée dans un roman où il n'est question quedu désir sexuel et de son assouvissement. " Qui désire mon corps m'aime, affirme la narratrice. Qui aimemon corps me désire. C'est le seul amour que je connaisse ; le reste est littérature. " Le soufi Al-Jouneïdécrivait : " J'ai faim decoït comme j'ai faim de nourriture. " La narratrice paraphrase : " Moi, j'ai faimd'eau, de sperme et de mots. "
Salwa Al Neimi n'a rien d'une victime. C'est une femme libre qui parle joyeusement du sexe, et sans lamoindre culpabilité : comme les vieux traités dont le livre adopte la structure, avec une division en "portes " et diverses histoires ou recettes qui se glissent dans le récit.
Il n'y a que deux personnages récurrents : la narratrice et celui qu'elle appelle " le penseur ", sonpartenaire, jamais à court d'idées : " Il a une idée pour chaque position. " L'élève a beaucoup appris. " Macuriosité sexuelle s'est creusée comme un gouffre. " Elle a, " comme toutes les femmes ", l'espritpolygame. Ou, plutôt, " polymâles ".
La narratrice - mais ce pourrait être l'auteur - souligne la misère sexuelle du monde arabe, grandconsommateur de Viagra et de films pornographiques étrangers. Le cheikh Al-Suyuti, remarque-t-elle, arédigé au XVe siècle, à l'usage des femmes, un livre sur l'art de faire l'amour. Les lectrices de certainsmagazines arabes d'aujourd'hui n'en comprendraient pas un mot : " Autant donner à lire à unenéandertalienne un manuel d'informatique. " Le correcteur orthographique utilisé par l'auteur n'a-t-ilpas souligné tous les mots en rouge ? " Lui aussi est programmé pour la dissimulation. "
Avant d'obtenir une licence de langue et littérature arabes à Damas, Salwa Al Neimi a appris le françaisen Syrie, à l'école publique. Elle le connaît aujourd'hui parfaitement et a révisé elle-même la traductionde son livre. Mais sa langue maternelle reste sa passion. " En arabe, dit-elle, je fais ce que je veux, je neserai jamais vulgaire. Je n'ai pas cette liberté quand j'écris en français. " Ce livre, ajoute-t-elle, est unedéclaration d'amour à la langue et à la culture arabes. Ne démontre-t-il pas qu'on peut écrire les chosesles plus intimes dans cette langue ?
Le monde arabe n'est venu que très tard au roman : la littérature n'avait pas pour objet de décrire le réelou d'exprimer des sentiments singuliers, mais de célébrer un monde et une langue fixés par le Coran. "L'arabe est la langue du sexe, affirme la narratrice. Aucune langue ne peut le remplacer à l'heure de lafièvre, même auprès des hommes qui ne le parlent pas. " Il est vrai que les audaces de Salwa Al Neimiparaissent parfois bien timides au regard du Jardin parfumé (Picquier Poche, 2002), le traité érotique deMohammed Al-Nafzaoui, qui vivait (joyeusement) en Tunisie au début du XVe siècle.
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20080614. Robert Solé Traduit de l'arabe par Oscar Heliani,éd. Robert Laffont, 178 p., 14 ¤.article précédent article suivant Lettres galantes Nouvelles des terres vides
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